Mieux vaut vivre un seul jour conscient de l’apparition et de la disparition des cinq agrégats que cent ans sans jamais prendre conscience de l’apparition et de la disparition des agrégats*.
* cinq agrégats constitutifs de l’individu : la forme corporelle, la sensation, la perception, la formation mentale et la conscience.
L’histoire de Theri Patacara
Alors qu’il résidait au monastère de Jetavana, le Bouddha prononça le verset 113, en référence à Patacara.
Patacara était la fille d’un homme riche de Savatthi. Elle était très belle et ses parents la surveillaient de près. Mais un jour, elle s’enfuie avec un jeune homme de la famille et alla vivre dans un village, comme épouse d’un pauvre homme. Après un certain temps, elle tomba enceinte et, comme l’heure de la naissance approchait, elle demanda à son mari la permission de retourner chez ses parents à Savatthi, mais son mari la découragea de partir. Ainsi, un jour, alors que son mari était absent, elle se mit en route pour la maison de ses parents. Son mari la suivit et la rattrapa en chemin et la supplia de revenir avec lui, mais elle refusa. Comme son heure approchait, elle dut donner naissance à un fils dans un buisson. Après la naissance de son fils, elle retourna chez elle avec son mari.
Puis, elle tomba de nouveau enceinte et, comme la naissance approchait, prenant son fils avec elle, elle partit à nouveau pour la maison de ses parents à Savatthi. Son mari la suivit et la rattrapa en chemin, mais l’heure de l’accouchement approchait à grands pas et il pleuvait beaucoup. Le mari chercha un endroit approprié pour l’accouchement et alors qu’il défrichait un petit bout de terrain, il fut mordu par un serpent venimeux et mourut sur le coup. Patacara attendit son mari, et en attendant son retour, elle donna naissance à son deuxième fils. Le matin, elle chercha son mari, mais ne trouva que son corps mort. Se disant que son mari était mort à cause d’elle, elle continua son chemin vers ses parents.
Comme il avait plu sans cesse toute la nuit, la rivière Aciravati était en crue ; il ne lui était pas possible de traverser la rivière en portant ses deux fils. Laissant le garçon aîné sur la berge, elle traversa le cours d’eau avec son nouveau-né et revint le chercher. Alors qu’elle était encore au milieu de la rivière, un grand faucon apparut au-dessus du bébé, le prenant pour un morceau de viande. Elle cria pour faire fuir l’oiseau, mais ce fut en vain ; l’enfant fut emporté par le faucon. Pendant ce temps, l’autre fils entendit sa mère crier depuis le milieu du ruisseau et pensa qu’elle l’appelait pour qu’il vienne la rejoindre. Il entra donc dans la rivière pour rejoindre sa mère, et fut emporté par le fort courant. Ainsi, Patacara perdit ses deux fils ainsi que son mari.
Elle pleurait et se lamentait bruyamment : « Un fils est emporté par un faucon, un autre fils est emporté par le courant, mon mari est aussi mort, mordu par un serpent venimeux ! » Puis, elle vit un homme de Savatthi et elle demanda en larmes des nouvelles de ses parents. L’homme lui répondit qu’en raison d’une violente tempête à Savatthi la nuit précédente, la maison de ses parents s’était effondrée et que ses deux parents ainsi que ses trois frères étaient morts et avaient été incinérés sur un bûcher funéraire. En entendant cette tragique nouvelle, Patacara devint complètement folle. Elle ne remarqua même pas que ses vêtements s’étaient détachés d’elle et qu’elle était à moitié nue. Elle parcourut les rues en criant ses malheurs.
Alors que le Bouddha donnait un enseignement au monastère de Jetavana, il aperçut Patacara à distance ; par son pouvoir surnaturel, il la fit venir. La foule, la voyant arriver, essaya de l’arrêter en disant : « Ne laissez pas entrer cettte folle ». Mais le Bouddha leur dit de ne pas l’empêcher d’entrer. Lorsque Patacara fut assez proche pour l’entendre, il lui dit de faire attention et de rester calme. Elle se rendit alors compte qu’elle n’avait pas de jupe et s’assit avec honte. Quelqu’un lui donna un morceau de tissu pour se couvrir. Elle raconta alors au Bouddha comment elle avait perdu ses fils, son mari, ses frères et ses parents. Le Bouddha lui dit : » Patacara, n’aie pas peur, tu es maintenant arrivée chez celui qui peut te protéger et te guider. Tout au long de cette ronde d’existences, la quantité de larmes que tu as versées à cause de la mort de tes fils, de tes maris, de tes parents et de tes frères est volumineuse ; elle est même supérieure aux eaux des quatre océans. » Ainsi, le Bouddha lui expliqua l’Anamatagga Sutta qui traite des innombrables existences, et elle se sentit soulagée. Puis, le Bouddha ajouta qu’il ne fallait pas trop penser à ceux qui étaient partis, mais qu’il fallait se purifier et s’efforcer de réaliser Nibbana. Après avoir entendu cette exhortation du Bouddha, Patacara atteignit le premier stade de l’Éveil.
Puis, elle devint une bhikkhuni (une nonne). Un jour, elle se nettoyait les pieds avec l’eau d’un pot à eau. Lorsqu’elle versa l’eau pour la première fois, elle ne coula que sur une courte distance et disparut ; puis elle versa pour la deuxième fois et l’eau alla un peu plus loin, mais l’eau qu’elle versa pour la troisième fois alla le plus loin. En observant l’écoulement et la disparition de l’eau versée successivement pour trois fois, elle arriva à percevoir clairement les trois étapes de la vie des êtres. Le Bouddha, la voyant par un pouvoir surnaturel depuis le monastère, envoya sa radiance et lui apparut en personne. Il lui dit alors : « Patacara, tu es maintenant sur la bonne voie, et tu as maintenant la vraie perception des agrégats. Celui qui ne perçoit pas l’impermanence, le caractère insatisfaisant et l’insubstantialité des agrégats est sans valeur, même s’il devait vivre cent ans. »
Puis le Bouddha dit :
Mieux vaut vivre un seul jour conscient de l’apparition et de la disparition des cinq agrégats que cent ans sans jamais prendre conscience de l’apparition et de la disparition des agrégats.
À la fin de l’enseignement Patacara atteignit l’Éveil.
Quelques réflexions …..
Le symbolisme de l’eau qui parcourt une petite distance puis pénètre dans le sol est intéressant. Patacara comprit que les êtres vivants, comme l’eau qui disparaît dans le sol, vivent un certain temps puis meurent ; que tout change et est impermanent. À partir de là, elle comprit, avec l’aide du Bouddha, que tout surgit et cesse, que rien n’est stable ou durable et que, par conséquent, rien ne peut être un refuge.
Nous avons généralement tendance à penser que notre maison, notre travail, nos partenaires, nos amis et nos parents seront toujours là pour nous, même si nous savons intellectuellement que ce n’est pas le cas et nous ne sommes pas préparés aux changements dans notre vie. Cette illusion cache la vérité, à savoir que nous sommes aussi vulnérables que Patacara. Cette prise de conscience nous aide à nous défaire de nos attachements et de nos illusions et nous incite à cultiver notre esprit.